Depuis plus de deux mille ans, le théâtre rassemble, dans un même espace-temps, des acteurs et des spectateurs, autour d’une oeuvre de fiction. Il a survécu à toutes les révolutions - politiques, artistiques, sociales, technologiques... Que se passe-t-il donc, dans ce temps partagé de la représentation, qui lie ainsi une foule d’inconnus ? Comment peut-on expliquer, sur le plan cognitif, ce qui caractérise l’expérience théâtrale ?
C’est à partir de ces questionnements, issus de mes rencontres ainsi que de mon expérience de spectatrice et critique de théâtre, qu’est né ce projet de thèse. Très vite, il m'est apparu que ces interrogations trouvaient un écho naturel dans la sphère académique, à plusieurs titres.
Premièrement, car les caractéristiques du théâtre en font un formidable laboratoire de thématiques brûlantes en sciences cognitives, que l'expérimentation traditionnelle ne permet d'explorer que de manière réductrice, notamment dans le champ de la cognition sociale. En particulier, l'émergence et le fonctionnement de dynamiques émotionnelles collectives peuvent être investigués. Là où la recherche en laboratoire ne permet souvent de travailler que sur des groupes restreints, le théâtre a la capacité de réunir plusieurs centaines de personnes soumises en même temps à un stimulus commun (la représentation). De plus, il est possible d'étudier à la fois ceux qui produisent le stimulus (les acteurs) et ceux qui le reçoivent (les spectateurs), et donc d'interroger les dynamiques qui peuvent se tisser entre et au sein de ces deux groupes. Cette exploration empirique peut ensuite être intégrée aux débats philosophiques en esthétique cognitive, concernant la réception des œuvres de fiction. Plus spécifiquement, il s'agit d'introduire une dimension collective à cette littérature jusqu'alors essentiellement centrée sur un rapport individuel aux œuvres. En ce sens, l’étude de l’expérience théâtrale peut enrichir notre compréhension de la psychologie humaine.
Inversement, les études théâtrales ont également fait preuve d’un intérêt croissant pour les sciences cognitives ces dernières décennies, en tant qu’outil susceptible de leur offrir des pistes de compréhension des phénomènes constitutifs de l’expérience théâtrale - il est grand temps que le dialogue se noue de manière réciproque.
Enfin, il s'agit aussi, à travers ce projet, d'interroger les pratiques de recherche actuelles, de s'aventurer hors du laboratoire tout en conservant une démarche rigoureuse scientifiquement. L'objectif est de réfléchir aux moyens concrets de s'inscrire dans un cheminement véritablement interdisciplinaire, et par là-même, d'explorer les lisières, les intervalles et interstices entre la recherche et les arts - résolument convaincue que la recherche est aussi un acte de création, et réciproquement.
Cette thèse SACRe est réalisée sous la direction de Julie Grèzes et Jérôme Pelletier, et le co-encadrement de Marion Chénetier-Alev,
en association avec le CDN d'Angers et avec le soutien du CDN Nanterre-Amandiers, du Théâtre-Studio d'Alfortville et de la compagnie f.o.u.i.c